Recoudre le corps de l’humanité
L’urgence sanitaire extrême est désormais derrière nous et l’on s’en réjouit. Nos soignants ont besoin de repos, bien plus que de médailles (et de salaires dignes plutôt que de primes). Certains d’entre nous vont pouvoir enfin honorer leurs défunts emportés pendant la crise. Se profile à l’horizon des prochains mois l’espoir, sans certitude, d’un vaccin salvateur pour les pays qui pourraient se l’offrir. Pour autant, le Covid-19 n’a pas fini de nous hanter. Les conséquences sociales de ce printemps terrible commencent tout juste et il faudra plus que des milliards (de futures dettes) pour remettre le pays en état de marche. Les crises ont la « vertu » de mettre à mal la confiance au sein d’une société et celle-ci ne fait pas exception. Les questions se bousculent. Et la tentation de charger des boucs émissaires est grande (les politiques, les policiers, les professeurs…). Quand ça va mal, quand la peur domine, c’est toujours à cause de l’autre qui a failli. Ceux qui nous gouvernent, en acceptant parfois de dire : « Nous ne savons pas », aideraient au retour de la confiance. Dieu sait que l’on en a pourtant besoin. Car une fois tirées les leçons des erreurs de certains, et honorés les gestes héroïques de beaucoup, il nous faut pourtant avancer ensemble, repartir, reconstruire, retisser des liens. On nous a ordonné pendant des semaines de rester chez nous. Et nous l’avons fait. Pourtant, une force intérieure, sociale, humaine et spirituelle nous pousse au contraire à vouloir sortir pour rencontrer nos concitoyens. « Les autres, c’est nous. Aller vers les autres, c’est aller vers soi », affirme le rappeur, cinéaste et écrivain Abd al Malik. À douze ans, Albert Camus lui a permis de sortir de ses problèmes de jeunesse à Strasbourg. Depuis, il le considère comme un frère, une colonne vertébrale (en 2019, il a mis en scène sa pièce Les justes au théatre du Châtelet à Paris). « Aujourd’hui, nous avons besoin d’être ensemble, de faire peuple… Camus nous le permet. Notre travail est de déconstruire une idéologie de la haine, pas d’y répondre par la confrontation. Autrement, on risque de détruire le corps de l’humanité, alors que nous voulons le recoudre. […] Tout ce qui est mis en mouvement est fait par amour. On ne peut avancer que si l’on est en connexion avec l’autre, premier pas vers la guérison. » Notre société convalescente a réellement besoin d’une bonne prescription d’amour pour les autres. De confiance en l’autre et en soi. Pour réussir, nos sourires, qu’ils demeurent cachés sous le masque ou qu’ils apparaissent sur les visages, doivent exprimer notre volonté de dépasser nos peurs et d’imaginer notre futur collectif.
Philippe CLANCHÉ
Emilie TÉVANÉ
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